Description physique

Il a bien vieilli, Fern. Comme du bon vin ou de la bonne musique, il s’est développé sur le tard et maintenant voilà, il est charmant. Ca lui a manqué toute son adolescence, c’est pas venu avec la puberté non plus, mais aux premières rides c’est devenu une évidence : Fern va profiter de ses années dorées comme jamais.

L’argent de l’âge a adouci le noir de ses cheveux, de ses sourcils. La folie de la jeunesse -pas la sienne, celle d’un des ados du club- en a profité pour tondre le côté de son crâne en une sidecut des plus audacieuses qui lui donne des petits airs de hipster abordable. Certains disent que ça le rajeunit mais ça le fait rire, Fern, cette idée : à son âge on n’a plus envie de faire la trentaine, c’est une idée d’enfant ça !
Lui il n’attend qu’une chose : c’est que les rides au coin de ses yeux brun-gris, celles au bord de ses lèvres -tout ce qui marque son visage à force de sourire- se creusent encore plus. Il veut que les traces des soucis sur son front se fassent oublier pour devenir un de ces petits vieux de livre pour enfant, ceux qui ressemblent à des pommes fripées. Ca va être compliqué en partant de lui, grand dadais plus sec que rond, mais il veut croire qu’il y a un futur pour lui au rayon “primeur” des anciens.

Ce qui ne veut pas dire qu’il fait tout pour paraître antique, il faudrait pas abuser. C’est pas son genre, les petits cardigans et les pantalons en velours côtelé : lui il préfère le charme intemporel des vestes et gilets sur une chemise noire impeccablement repassée, ambiance salaryman écornée par les bottes en cuir et le bracelet jaune citron qui complètent la panoplie.
Ce serait cliché de dire qu’il marie le charme de l’ancien et la praticité du neuf, ou est-ce qu’on ne dit ça que pour les appartements ? Oh et puis zut, ça lui va bien comme description.
Disons donc qu’il a le charme de l’âge et le zeste de la jeunesse et restons-en là.

Caractère du personnage

Il sourit avec la férocité de mille soleils. Il montre les dents à la vie, attrapant chaque opportunité avec la rage de vivre qui lui brûle au ventre. C’est parce qu’il sait ce qui guette aux limites de la lumière qu’il fait de son mieux pour ne plus jamais retomber dans l’ombre.
Personne ne se doute du diagnostic avant que les mauvaises journées arrivent, parce que tout le monde se laisse aveugler par sa bonne humeur. Il est sociable, Fern, il est amusant, intelligent comme un renard et tout aussi audacieux. Il se fond dans les groupes avec une aisance scandaleuse après quoi, dix minutes d’observation au plus ?
C’est qu’il aime le contact d’autrui, se rendre utile, faire sourire son prochain. C’est pour ça qu’il est aussi aisé de l’apprécier : juste parce qu’il veut l’être et fait de son mieux pour rayonner de positivité.
Mais ça, ce sont les bons jours. Ceux qu’il passe quand même à craindre une rechute, à vérifier sa checklist mentale des symptômes de sa maladie. Celui qui le surveille comme on garde un œil sur une araignée dans la douche, c’est lui-même.

Parce qu’il sait. Il connaît la bouillie de jours, la longue litanie morne du rien, les émotions émoussées et les nuits sans sommeil.
Dépressif.
Ca a été le diagnostic il y a bien longtemps. Il est de ceux qu’on observe comme le lait sur le feu, ceux qu’on oublie un peu trop longtemps au mauvais moment pour retrouver totalement au fond du trou. Il le sait, comment son cerveau le protège lorsque vivre est trop dur et il refuse, avec une énergie immense, de perdre tout ce qu’il a gagné. De ne pas pleurer en voyant un lever de soleil. Ou sentir de l’amour. Ou même de la douleur.
C’est pour ça qu’il y a tant de rage de vivre dans son rire et tant de peur cachée dans ses yeux.

Histoire du personnage

Il a quatre ans sur la photo, une chemise blanche et un pantalon bleu marine, la bouche grande ouverte et les yeux fixés vers quelque chose qui n’est pas sur l’image. Il est fasciné. Il est transporté.
Il regarde les premiers pas de l’Homme sur la Lune. C’est son premier souvenir : un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité. La certitude qu’un jour, lui aussi mettra le pied dans la poussière lunaire.

Il a dix ans sur l’image suivante. Des piles de livre tout autour de lui, sur le sol de sa chambre, et son dos penché sur ce qu’on devine être un cahier. Il n’a pas levé la tête quand la photo a été prise. C’était son anniversaire mais il y avait un contrôle le lendemain et il ne pouvait pas le rater, il n’avait pas le temps de manger le gâteau.
Ses parents avaient trouvé ça très amusant. Ils étaient bien fiers d’avoir un enfant aussi studieux, aussi concentré sur ses objectifs.
Ils n’avaient aucune idée.

Quatorze ans, debout dans un champ de fleurs, Fern sourit enfin à l’appareil. C’est le début des bonnes années, celles après le diagnostic, après la sortie du brouillard qu’il a toujours connu. Ca ne se voit pas sur l’image mais ça fait deux ans qu’il est suivi par le docteur Cheyan, le psychologue qui a mis les mots sur l’état du cerveau de Fern. Ils ont beaucoup travaillé ensemble pour que l’adolescent puisse exprimer de la joie sur cette photographie.

La jeune fille à côté de lui sur la photo ? Il ne se souvient pas de son prénom. Ils ont tous les deux dix-sept ans, assis dans une pelle de tractopelle, il a les bras autour des épaules de la fille et elle lui embrasse la joue. C’est déjà assez compliqué de s'appeler Fern à cet âge là, il ne va pas en rajouter en laissant le monde savoir qu’il n’aura jamais aucun sentiment pour elle.
Il le sait, pourtant.
Mais c’est une autre époque. Et il a toujours été un peu lâche.
Alors sur la photo elle l’embrasse et on peut croire qu’ils sont amoureux.

C’est Barbara, sa future femme, qui illumine la pellicule. Elle a même pas vingt ans à cette époque, de longs cheveux blonds que l’image n’arrive pas à rendre correctement, pas comme dans ses souvenirs en tout cas. Elle est assise au bord d’un canyon. C’est l’année où ils ont fait le tour des grands parcs américains. C’est là qu’il a demandé sa main, quelques années plus tard lorsqu’ils ont fini leurs études.

Dans leur cuisine à Toronto, il exhibe une pile de pancakes sur laquelle est écrite maladroitement au chocolat Diplômés !. Son tablier est vert. Son pull orange. Les chaises en formica jaunes.
Il l’a aimée, Barbara. Pas comme il faudrait mais c’était réciproque et ils le savaient tous les deux. Elle avait ses amies. Il avait ses camarades.
Et un mariage comme un secret entre eux. Un cocon cozy dans leur petite maison, une entente à deux, de l’amour à en dégoûter les voisins. Ils étaient meilleurs amis, confidents, impossible à séparer. Tant pis s’il y avait ce mensonge, tout petit mensonge de rien du tout, pour les protéger du monde.

C’est les nuages et un bout d’aile d’avion. Ils sont loin au dessus de l’Atlantique, en route pour la France.
Là où Fern a trouvé un travail, au CNES à Paris. Il ne va pas pouvoir accomplir son rêve de travailler à la NASA -pas encore en tout cas- mais ses travaux et son CV ont retenu de l’attention en Europe. C’est là qu’ils déménagent tous les deux, Barbara et lui, avec une valise chacun comme seules affaires et deux mois de cours de français dans le cerveau.

Il a vingt-six ans sur la photo, le regard fixe, la bouche ouverte de choc. Sur la télévision également dans le cadre, des jeunes gens debout sur le Mur de Berlin.
Il ne s’attendait pas à débarquer sur un continent en pleine mutation, ou à la fin de la guerre froide, et que va-t-il advenir des programmes spatiaux ? Aura-t-il encore du travail ? Est-ce que c’est David Hasseloff à la télévision ? Mais qu’est-ce qu’il fait là ?!

Elle pleure dans le canapé, visage dans les mains. Il est hagard à côté, une main sur le genou de Barbara, l’autre devant ses propres yeux.
Elle n’a même pas trente-cinq ans et elle est malade. Cancer. Détecté tôt, heureusement, a dit le médecin mais ça ne ressemble pas beaucoup à une bonne nouvelle lorsqu’on la reçoit. Ils ont dû le dire à leurs parents, ceux de Fern sont venus en France pour les aider le temps des soins. C’est eux qui ont pris la photo.

Elle sourit sous une banderole proclamant Guérie !. Ses sourcils ont commencé à repousser, ses cheveux aussi, elle a l’air affaiblie mais heureuse sur l’image.
Lui il ne se souvient pas.
Depuis l’annonce de la maladie les jours passent comme un flou, il n’est ni triste ni désespéré. Juste engourdi. Dans cet état il est capable de fonctionner, de travailler, de soutenir sa femme et même de donner assez le change à ses parents pour qu’ils ne se doutent de rien.
Mais devant la banderole et les gâteaux et les fêtes de rémission, il se rend compte qu’il est en apnée depuis tout ce temps. Qu'il doit retourner se faire soigner, lui.

Une photo d’un salon vide si ce n’est pour les cartons le long des murs.
C’est le début de nouvelles bonnes années. Il se souvient du premier matin ensoleillé dans la cuisine, le soleil qui illuminait la cafetière et sa tasse, et comment il a pleuré à cette vue. Comment les digues ont cédé juste comme ça, avec un peu de lumière et l’odeur de l’arabica dans une pièce qui lui appartenait. Tout le travail fait depuis cinq ans qui soudainement lui apparait avoir fonctionné et lui qui ne peut pas s’empêcher de pleurer.

C’est la dernière photo d’elle, immense sourire sur le visage, de la farine sur la joue et dans ses cheveux. Ils avaient fait une bataille dans la cuisine au lieu de pâtisser, elle avait bien sûr gagné. Fern s’était gracieusement incliné face à la défaite et s’était remis au travail pour rendre dans les temps son exercice de la semaine.
Il était en reconversion.
Elle le soutenait.
Elle lui disait que ça lui ferait du bien, de moins faire de calculs et plus de choses de ses mains.
Elle n’aura jamais vu son nouveau diplôme.
Barbara est morte un peu après ses cinquante ans. Retour du cancer, trop rapide, trop virulent.

Fern avec un t-shirt arc-en-ciel, au milieu d’autres personnes, de chars, de décorations. Il aurait pu faire ça marié, bien sûr, mais il ne sait pas pourquoi il n’a jamais eu goût à défiler à la Pride avant d’être veuf. Ce n’est pas comme si feu sa femme n’aurait pas pu, elle aussi, agiter un petit drapeau ou comme s’ils avaient encore besoin de se cacher…
Mais voilà, c’est son premier défilé, entouré des membres de l’association LGBTQ+ qu’il a aussi rejoint il y a peu. C’est eux qui prennent la photo d’un Fern encore timide, qui ne sait pas vraiment où se mettre, mais qui fait de son mieux pour sortir. Pour reprendre pied après la pire année de sa vie.

La photo la plus récente. Il a cinquante-six ans et il se tient, fièrement, devant la minuscule pâtisserie dans laquelle il travaille. La devanture est rose bonbon. Le tablier est rose bonbon. Le pâtissier ne l’est pas mais il sourit, il sourit tellement qu’on ne voit que ça au milieu des couleurs saturées : Fern, heureux.

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