Attributs physiques

Son allure frêle, mais grande de plus d’un mètre soixante-seize lui donne envie de se terrer dans l’obscurité d’une foule, à l’abri de l’énergie incontrôlable d’âmes vagabondes, éprises de rêveries et d’espoirs de folie. Une apparence soignée faite de robes, jupes longues ou ensembles, de la couleur pour tous les jours, du noir pour les concerts, un dernier coup d'œil dans le miroir avant de quitter son cocon et de se mêler à la société. Le regard droit, l’objectif fixé, la démarche rapide et inébranlable, la crinière épaisse fourrée à demi dans un foulard, un manteau de saison ou bien cachée sous un couvre-chef. Les traits jeunes, on lui donne moins de la vingtaine quand elle vient en vérité de passer le quart de siècle, nullement embêtée voire plutôt amusée, le sourire facile contraste avec son attitude détachée. Loin de se donner un air, là est un simple détail sur lequel elle travaille afin de l’atténuer pour paraître plus amicale. En pleine prestation, Sybille se pare d’exemplarité, en position, attentive et concentrée sur les notes, rien ne la perturbe.

   

Personnalité

 Et lorsque l’archet gratte les cordes du violon, c’est elle qui s’exprime au travers. Le pragmatisme à toute épreuve, l’intention de s’accrocher à la raison plutôt que de laisser le champ libre au cœur. Sybille existe, compte les minutes, les heures, les jours et mois qui défilent tout autant qu’elle compte le tempo pour que ne se glisse aucune fausse note dans un morceau écouté à l’international. Les manières qui veulent qu’elle ne touche rien sans frotter ses mains après, protéger son outil de travail lui est primordial. Peu adroite avec les mots, la réserve prend le dessus, fine observatrice d’une partition étalée devant ses yeux, la dépiautant, cherchant à la comprendre parfaitement avant de se lancer. Sybille doit s’assurer de ne pas se faire honte, de ne pas se retrouver embarrassée, la gêne ne doit pas apparaître, non non non ! Le rouge aux joues arrive si vite et sa peau froide aux extrémités ne pourra atténuer la couleur pourpre colorant même ses oreilles. Mais elle ne fuit ni les situations ni ses sentiments, encore moins les gens.

Affronter ses peurs et sa nervosité lui prouve que son corps vit, que ces battements ne sont pas qu’illusions, qu’elle est capable de se projeter et d’évoluer comme tout le monde, malgré la difficulté de la tâche. Piégée par une anxiété envahissante, si un rien réussit à lui montrer qu’elle peut se défaire de cette malédiction, elle lui tend tout de suite les bras. Sa musique la lie aux autres, dévoile de sa mélancolie, son cercle amical coagule aux rythmes des événements ; des arrivées, des départs, des tristesses et des joies. Ainsi on grandit, rejetant le pessimisme et embrassant son contraire. La beauté de Sybille résonne au son de son instrument, confiante certes, toutefois loin d’être étouffée d’égocentrisme. Son bonheur est têtu, elle se met souvent à la place des autres et se fait rattraper par ce caractère intransigeant. Son instinct s’éveille et s’est aiguisé depuis ses séjours au Chat Noir, habitée par l’impression d’être observée, attendue, mais par qui ?

Son histoire débute sûrement par une petite fille qui déambule dans la cour de la maison familiale avant de tomber de tout son long, éraflures sur les genoux, les coudes et le bout du nez, les pleurs camouflés par un câlin de consolation. La dernière de la famille Leroy est depuis toujours tête en l’air, elle aime pointer du doigt quelque chose, se jeter dessus sans baisser les yeux sur ce qui est devant et s’étonne du résultat !
Son père lui dépose alors un bisou magique sur le front et le rose maquille ses joues. Comment reprocher l’enthousiasme de leur poupée ?

Ses premières années en Suisse lui manquent pour sa verdure et son air pur, cette impression foudroyante de liberté, comme si le négatif ne pourrait jamais se loger au creux de sa poitrine, multiplier les pulsations et que naisse cette absence terrible de souffle. Les pensées se sont emmêlées, les iris dévisagent désormais le plafond, la pièce tangue, se remémorer n’aide pas. Déjà ses doigts tremblotants se serrent autour de son cou, suppliant n’importe quoi de la sortir de ce cauchemar et de cette paralysie. Sa respiration saccadée la cloue au lit, l’horloge indique minuit et Sybille sombre dans l’inquiétude. Il faut dormir, il ne faut réveiller personne, que les sanglots se taisent et s’apaisent alors que se plaquent les paumes sur son visage.
Paris s’est calmé, elle entend la capitale baisser son rideau et souhaiter la bonne nuit à chacun de ses habitants. L’oreiller se trempe de sueur, au pied du matelas un sac en papier ; une seule ouverture et collé au bord des lèvres, elle reprend vie. Inspiration, expiration, inspiration, expiration. Le myocarde cesse son chamboulement, le cerveau regagne de sa fonction.

Ça va aller.
Puis, le coma.

Elle se réveille exténuée, ses rêves hantés par son reflet à lui, des voix inconnues, durant les six heures restantes, c’est un peu de l’énergie vitale qu’elle aurait désiré manifester. Une nouvelle journée de travail, de création et réalisation, donner la vie après s’être battu pour plus tôt, l’ironie de sa réalité. Au matin, le chiffon de coton dépoussière le bois des inévitables fines particules, ses papiers importants sont rangés dans son sac, les dents sont brossées, pas de jean noir s’il fait soleil, pas de t-shirt s’il menace de pleuvoir, un parapluie si pas de vent, un chapeau si trop d’éclaircissement.

Violoniste de qualité, comme tous ceux souhaitant perdurer dans le métier, les répétitions s’enchaînent pour que le jour de l’enregistrement il n’y ait aucun écho mal placé.

Benjamine d’une famille joyeuse, chanceuse de n’avoir connu que des mauvaises passes mineures selon ses parents, ceux-ci omettant éhontément le choc d’un changement de pays. Vivre en France est une chose. Dix ans après son déménagement, il est encore compliqué pour elle de se calquer aux pas parisiens, voilà pourquoi elle vit avec sa sœur Sara, quand celle-ci l’encourage à prendre son envol, Sybille se renferme davantage. Ils ne comprennent pas ce qui me retient. Et tu n’as qu’à quitter la ville, va dans le sud ! Mais son métier est une part d’elle, ses habitudes la rassurent, quand elle abandonne Paris c’est simplement pour des séminaires, des voyages brefs, son destin la rattache et l’encercle, comme bien des choses..

L’épidémie marque un arrêt brutal à ses activités, en congé forcé, elle ne peut compter que sur sa famille et ses proches pour ne pas se morfondre. Une période creuse qui n’a duré que le temps que les mesures sanitaires soient adaptées pour son orchestre. Le boulot reprend, tout doucement la jeune femme s’éprend d’ailleurs, son amie lui murmure le nom d’un lieu où divertissement et magie se mêlent, elle rit de cette description fantastique et laisse sa curiosité l’y emmener. Elle ne sait comment le coup de foudre est arrivé, c’était si soudain, si impromptu, le palpitant montant jusqu’aux tympans, le monde qui tourne au ralenti et cette idée dingue que tout le monde devine ce qu’elle ressent. Plaisir innocent devenu coupable pour celle destinée à se cloisonner dans un dur labeur pour lequel elle a trimé pendant des années. Le conservatoire semble très loin face aux émotions d’un amour nouveau. Amour. Quelle terrible sensation.

Entre épanchement amoureux, une catastrophe a bien eu raison de ses visites au cabaret. Le souvenir est encore vif, Sybille cherchant le chemin des toilettes a vu passer une horde de chats, prise de surprise et le cri resté coincé dans la gorge, elle en avait oublié ce qu’elle voulait faire au début. Son comportement en a surpris plus d’un. Ce ne sont que trois chats ! Trois ? Dix, oui ! Le son des instruments sur scène s’était soudainement heurté à une voix d’opéra, personne ne l’avait cru, encore maintenant elle semble l’entendre sans en trouver la source. Or, la musicienne en est certaine, cet endroit cache un mystère et personne ne veut répondre à ses questions.