Il y a quelques années à peine, quand Vincent s’exerçait tous les matins avec les soldats de l’armée de terre, il pouvait dire qu’il se conservait. Ses muscles étaient bien dessinés et fermes, et sa jeunesse se voyait d’un coup d’œil sur son visage. Aujourd’hui, même s’il pratique encore du sport et tente de maintenir sa ligne, les rides sur son visage, très présents au moindre froncement de sourcils, et les cheveux blancs qu’il commence à avoir se voient ; même s’il essaye de dissimuler ces derniers sous son épaisse tignasse brune.

Bien évidemment, les années passent, alors il s’agit-là d’un processus normal. Néanmoins, parfois quand il se regarde dans le miroir, Vincent se donne quelques années de plus. Ce qu’il voit dans la glace, c’est ce que sa mère avait toujours souhaité lui éviter. Un vieillissement dû au stress et au surmenage.

Il est aujourd’hui bien loin du cabinet de ses débuts professionnels, où il accompagnait ses patients dans la gestion du stress. Depuis, il a connu la dure vie militaire, mais surtout, il a enchaîné avec un monde qui ne pardonne pas :  la politique.

Vous souhaitez prendre dix ans en cinq ans à peine ? Lancez-vous ardemment dans la politique, il n’y a pas plus efficace. N’avez-vous jamais fait attention à l’apparence d’un membre du gouvernement avant et après son mandat ? Sinon, vous serez peut-être plus vigilant maintenant. Bien entendu, ce serait naïf de croire que le dévouement d’un politicien à sa tâche puisse être l’unique raison de ce vieillissement. Vous savez ce qui vieillit prématurément aussi ? Ce qu’on appelle « une mauvaise vie », une de vie de débauche.

Est-ce que Vincent s’y adonne ? Peut-être, peut-être pas, mais on peut dire avec certitude qu’il n’est pas dénué de charme.

Malgré la rapide avancée de son vieillissement, il met un point d’honneur à prendre soin de lui. Esthéticienne, barbier, coiffeur, coach sportif, tailleur…Il les connait suffisamment pour que chacun d’eux s’adresse à lui comme à un vieil ami de la famille.

La plupart du temps, il ne voit personne d’autre que le gratin des assemblées nationales, mais ça ne l’empêche pas de s’y rendre comme s’il allait au cabaret « Le Chat Noir », élégant de pied en cap.

Ce matin par exemple, après avoir quitté son lit et pris sa douche, Vincent avait laissé ses lunettes de vue dans son étui et mis ses lentilles de contact. Il s’était coiffé à l’aide d’une brosse puis de ses doigts pour ramener ses cheveux vers l’arrière, il ne se coiffait pas autrement quand il s’agissait de quitter son chez lui.
Son café noir prêt, il l’avait savouré tout en nourrissant ses bruyantes, mais adorables boules de poils, puis il avait filé se brosser les dents encore une fois. Il était hors de question pour lui de commencer une journée avec une haleine caféinée, et il tenait trop à sa dentition pour l’abîmer ainsi.

Peu de temps après, il avait enfilé un de ses costumes italiens qu’il affectionnait tant, appliqué une senteur épicée sur lui, car c’était ce qui lui allait le mieux en termes de parfum, puis il avait gagné le siège qu’il occupait à l’hémicycle.

Accorder de l’importance à son physique est pour lui aussi infus que ses yeux bleu-gris. Et puisqu’il est présent sur les réseaux sociaux, il serait bien sot de ne pas utiliser son charme pour gagner en popularité au sein une société si superficielle…

Personnalité

Depuis qu’il a posé un pied dans la politique et qu’il grandit dans cet univers, Vincent se sent enfin lui. De nombreuses portes lui ont été ouvertes et il s’engouffre intelligemment partout où il trouve un intérêt. Une part de lui est animée par de bonnes intentions, oui, mais pas que. Vincent aime le pouvoir que confère la politique.

La capacité d’analyse qu’il possédait déjà est utilisée à d’autres fins. Peut-être moins louables, mais cela est sans importance à ses yeux. Il remercie sa mère pour avoir permis ce parcours dans sa vie. Jeté trop tôt dans la politique, il n’aurait pas été l’homme qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire habile à ourdir des plans, et ayant de l’entregent. En revanche, il garde son ambition de toujours, car il espère bien aller plus loin que le poste de député. Un jour il occupera un poste au ministère des Armées ou de la Santé, et autant dire que ça n’est pas celui de secrétaire d’État qu’il vise.

Ambitieux, intéressé, deux termes différents éthiquement, mais qui aux yeux du politicien, ont le même sens. Reste à savoir où se positionne réellement Vincent…Dans le politiquement correct ou non ?
En public la réponse penchera plutôt vers la première option. Son image publique le contraint de toutes les façons à avoir un masque. Celui qu’il montre aux électeurs. Cela ne signifie pas qu’il est totalement différent dans le privé, mais en tant que député il n’a aucune raison de montrer publiquement qui est Vincent Le Drian, le type désinvolte qui prend l’apéro avec ses amis un samedi soir en faisant une partie de snooker chez lui ? Ou en profitant des représentations du Chat Noir…

Quel intérêt y a-t-il à montrer qu’il essaye d’être présent pour sa fille malgré le divorce ? Souhaitant pour elle le développement le plus sain possible, éloigné de ce qu’il a lui-même connu.

De lui, il est attendu tout autre chose. Alors il joue son rôle et prend la parole à l’Assemblée nationale quand il le sent, il essaye d’être au maximum sur le terrain auprès de ses électeurs, sur les réseaux, et parfois, il apparaît au journal régional.
Vincent est avenant, accessible malgré ses airs de bourgeois ; l’arrogance ne l’étouffe pas, et ça, il le doit plus à sa profession initiale qu’à son éducation. Il sait écouter et entendre, mais il n’est pas non plus une bonne poire. Ouvert à la discussion, il ne craint pas d’avoir tort ni de se remettre en question, mais il préfère quand en face de lui, il a une personne qui en fait de même.

Hiver 1981 : 14 décembre, à 2h46, Vincent pousse son premier cri, et un autre plus aigu retentit environ dix minutes plus tard.

Les hivers passent, et les deux garçons des Le Drian demeurent les seuls du couple. Chacun est assuré d’avoir une part dans l’héritage familial, et ni l’homme ni la femme ne souhaitent avoir de fille.

Vincent et son frère Marc, évoluent tous deux dans le cercle bourgeois que fréquentent leurs parents. Ils étudient dès leur plus jeune âge dans des écoles privées, et l’un comme l’autre, ont leurs premiers émois amoureux pour deux jeunes filles de bonne famille. Les deux garçons se ressemblent physiquement, mais Vincent est plus soigné que son frère, et au collège, il porte des lunettes de vue qui lui valent quand même quelques moqueries d’autres enfants de la haute société. Il apprend à ses dépens ce qu’est le harcèlement scolaire, et il comprend aussi très tôt qu’il n’y a pas de représailles pour les personnes qui ont l’argent et le pouvoir. La règle d’or est de se taire pour ne pas froisser ceux qui ont plus d’influence que les Le Drian.

Selon la légende, les jumeaux seraient fusionnels, ou encore, moralement parlant, il y aurait toujours un meilleur que l’autre. Ces théories ne seront jamais confirmées, car la relation entre Vincent et Marc s’avère être plus complexe…

Chaque garçon a toujours eu son propre espace à la maison, son propre style vestimentaire, ses propres activités extrascolaires, car dixit leurs parents : « il est important d’être complémentaires pour former une pierre angulaire. ». L’idée était que Vincent et Marc excellent chacun dans des domaines différents, pour former une entité difficile à abattre.

Il y avait un certain libre arbitre, car les garçons pouvaient choisir ce qu’ils souhaitaient faire, à condition que ça soit socialement valorisable et que ça soit différent du choix de l’autre. Ainsi, malgré ce désir d’avoir une entité solide en résultat, les parents avaient fait en sorte que Vincent et Marc évoluent séparément, et ce, malgré leurs vaines tentatives pour se rapprocher l’un de l’autre. Marc n’intervenait donc pas quand il voyait son frère en difficulté, et Vincent ne lui demandait pas non plus d’aide.

Les choses auraient peut-être pu changer, mais alors qu’ils étaient tous les deux en cinquième, mais dans des classes différentes, Marc qui sortait plus tard des cours, périt dans un accident de voiture, en même temps que leur père alors au volant.

La perte de deux êtres qui, malgré la relation particulière, était douloureuse autant pour Vincent que pour sa mère. Cette dernière ne s’en est jamais remise d’ailleurs, Vincent pouvait l’affirmer encore aujourd’hui. Elle pleurait son fils certes, mais surtout son mari dont elle était dépendante affectivement parlant. Incapable de pouvoir soutenir son seul enfant, elle avait au moins eu la présence d’esprit de le faire accompagner dans cette épreuve.

Elle s’appelait Evelyne Champlain, psychologue et psychothérapeute spécialisée pour enfant et adolescent. Vincent la voyait chaque semaine, et ces rencontres ont durées cinq années. Au départ, aux yeux du garçon, cette quarantenaire se substituait à sa mère de plus en plus absente par la pensée. Mais en grandissant, il finit par la voir comme la thérapeute qu’elle était et il ouvrit les yeux sur ce qui se jouait réellement dans sa vie et dans celle de sa mère. Cette femme l’avait aidé à comprendre son enfance, son rapport à son frère, le fonctionnement de leur famille, et surtout à savoir ce qu’il souhaitait faire de tout cela. Elle avait implanté aussi autre chose dans sa tête, le choix.

Pourtant, alors que son père n’était plus là pour façonner son avenir, il avait de nouveau renoncé à une voie qui lui plaisait, car sa mère lui avait fait part de ses craintes. Attiré par la politique, et certain d’avoir sa place dans ce milieu, il s’était laissé influencer pour ne pas imposer à sa mère la perte d’un être cher. Cette dernière étant persuadée que ce monde de vautours aurait raison de son unique fils. A la place, Vincent opta pour autre chose, qui l’intriguait également, la psychologie. Il excella dans ses études, et sur chacun de ses lieux de stage. Ses professeurs avaient même souhaité le pousser vers un doctorat, mais Vincent s’était orienté vers un master professionnel et il avait quitté l’école de psychologues praticiens une fois son diplôme obtenu.  

Il travailla quelques années dans le civil, en institution, puis en cabinet libéral, il se forma dans certaines techniques, mais l’ennui se fit rapidement sentir. Il en avait assez d’avoir les mêmes profils face à lui, dont des femmes qui ressemblaient à sa mère dans leur fonctionnement. Elles étaient nombreuses, pour diverses raisons, à être dépendantes ou pire, borderlines. Il en avait assez d’entendre les mêmes histoires, maltraitances physiques, psychologiques, abus en tous genres…Il n’était pas Evelyne Champlain, ça n’était pas sa voie.

Alors, lorsqu’il entendit parler d’un poste de psychologue dans les forces armées, il se lança, certain que la posture de psychologue serait bien différente dans ce milieu. A 28 ans, il obtient le poste, passe les formations, occupe le poste d’officier psychologue et devient par la même occasion un militaire. Comme espéré, son parcours est bien différent de sa pratique civile. Il se retrouve à faire les entrainements militaires avec les soldats qu’il est amené à accompagner, et ce qu’il entend est différent. A un niveau de difficulté à son sens, supérieur. Mais il s’y plaît. Bien que ce fut à reculons qu’il coupa sa petite tignasse jugée trop épaisse...

Engagé pour cinq ans, il quitte les forces armées en 2014, six mois après le décès de sa mère.

Il avait eu le temps de l’enterrer et la pleurer, mais la majeure partie de son deuil s’était effectuée en mission, hors du territoire hexagonal.

Au moment de son retour dans la vie civile, il estime se porter bien. Délivré de ses dernières chaînes, il effleure de nouveau le monde de la politique, sans savoir comment se lancer. Mais sachant où se rendre, il commence à fréquenter diverses personnes et en décembre 2015 il siège en tant que conseiller régional pour une durée de six ans. Au cours de ce mandat, mais bien en dehors du monde politique, il fait la rencontre d’une belle jeune femme qui deviendra sa femme en 2018 et avec qui il aura une fille en 2019. Cependant, Vincent n’étant pas un modèle de fidélité, il se retrouva dans une histoire de divorce, à verser une pension conséquente à une femme qui n’a de cesse de l’admonester, mais qui a tout de même conservé son nom de femme mariée pour le prestige. Parfois, il a l’impression de s’être fait avoir, mais il est persuadé d’avoir eu sa revanche quand, deux ans plus tard, il est élu député de sa circonscription. Le changement subtil chez son ex-femme se fait encore sentir lorsqu’ils communiquent pour le bien de la petite Elodie, leur fille.