Ah ! L'épineuse question ! A quoi ressemble-t'elle?

Et bien elle serait la première à vous répondre qu'elle est particulièrement commune. Ni très fine, ni très grande. Ni trop petite, ni trop voyante. Mais si vous voulez avoir une opinion plus objective de sa personne, mieux vaut-il demander à d'autres ce qu'ils en pensent. Ce qu'on remarque le plus souvent chez elle, c'est la lueur dans son regard, et la chaleur de son sourire.
Être remarquable, c'est tout un art. Il  est très facile de passer à côté d'Alice sans la remarquer. Elle ne prend pas beaucoup de place, et sera la première à s'excuser si vous la bousculez. Mais voilà, il y a une chose sur laquelle beaucoup de gens s'accordent : si vous croisez son regard, ou si son sourire vous est adressé, vous ne pourrez probablement jamais oublier que vous l'avez rencontrée.

Un peu moins d'un mètre soixante, des yeux bleus comme l'océan, des cheveux couleur noisette. L'écrin manque d'éclat, diront les mauvaises langues. Mais ce n'est que pour rehausser la beauté du diamant qu'il contient. Un petit bout de femme au visage charmant. Elle aurait pu être parfaitement commune, mais elle a heureusement ce "Je ne sais quoi".  Le charme à la Française, peut-être. Mais du charme, définitivement.

Pour ce qui est du style vestimentaire, la tendance serait plutôt à "l'outre manche". Si les tenues sont parfois colorées, elles sont souvent très élégantes. Casual chic.  Vous pourrez facilement constater un amour du Tweed non dissimulé. Il se marie divinement avec les petits pulls noirs. Toujours une touche de couleur vive sur le tableau. "Dark Academia, with a twist", dirait-elle avec un clin d'oeil, empli de malice.  Que serait la vie sans une petite touche de folie? Rien d'extravagant, toujours relativement discret. Mais il y a de très fortes chances que vous n'ayez pas pu vous empêcher de penser. "Tiens, qui c'est cette fille? Je l'aurais pas déjà vu quelque part?"
A la bouquinerie, certainement !

Il était une fois, Alice Duval.

- Dans un pays connu pour sa tour, et Notre Dame, un jour naquit Alice Duval.
"Mais tu sais bien que je ne suis pas née à Paris ! Tu veux faire un article de journal bien documenté ou tu veux m'inventer une vie?"
- Un peu des deux? Je veux immortaliser une future légende !
Il lui fit un clin d’œil. Alice secoua la tête en levant les yeux au ciel. Elle n'avait pas besoin qu'on invente grand chose, son histoire était déjà plus ou moins une aventure, sans ajouter quoi que ce soit. Son ami reprit.

- C'est un jour de Septembre, que Paris accueillit cette petite chose fragile.
" Julien !"
-Oh, ça va. Tu es née quand déjà ?  
" Parce que tu as oublié?"
- Mais non, mais c'est pour vérifier !
" Je suis Bélier."
Il n'aurait pas plus, il n'avait qu'à s'en souvenir. Non mais !

Alice se perdit un instant dans ses pensées.  Par réflexe elle n'avait pas cessé de sourire, mais ses yeux se voilèrent un instant, pour qui sait le voir. Julien qui la connaissait depuis son arrivée à Paris il y a de ça quelques années la laissa s'égarer un peu dans ses souvenirs. Il savait qu'elle ne laissait que peu de monde saisir ces rares instants au vol. Il fit semblant de continuer à écrire sur son carnet.

C'est vrai ça, quelle idée de vouloir mentir sur son histoire. Le monde - pensait-elle - avait besoin de héros qui lui ressemblent ! Qui de plus inspirant qu'une personne partie de rien, et qui à force de courage et d'un brin de folie solaire arrive à décrocher une des étoiles de son ciel ? Et au niveau madame tout le monde, elle avait toujours été bien placée dans la course. Famille normale, enfance relativement normale. Enfin, non. Disons qu'elle avait eu la chance de ne jamais avoir été prise à partie. Elle n'était pas intégrée, mais sans avoir été rejetée non plus. Et elle aime à penser que c'est ce fragile entre deux qui a fait d'elle ce qu'elle est aujourd'hui. Quand on ne passe pas son temps à jouer aux billes, on peut lire et penser. Observer tous ceux qui rient autour de nous. Faire partie du mouvement, sans tout à fait y être intégrée. Alice était une créature de l'entre deux. Mi-chien, Mi-loup. Définitivement une créature de l'aube plutôt que du crépuscule. Tout ne faisait que commencer !

"Et tu as étudié la psycho, c'est ça?"
Il avait du l'interrompre un instant.
- Mais non, tu sais bien que c'est la philosophie !
"Ah oui, c'est vrai, c'est pour ça que tu n'avais pas tellement d'amis à l'époque ! Tu pouvais pas répondre à une question sans en poser une autre ! Je me souviens maintenant !"

Il la taquinait, mais elle ne le prenait plus vraiment mal. C'était un fait, elle n'avait jamais été miss popularité. Enfin, avant Paris. Et pourtant, elle n'était pas rassurée. De gros poisson de petit lac, elle devenait un anchois dans une mer infinie. Du menu fretin! Paris, c'est grand, ça donne le vertige. Mais elle avait besoin de savoir si un peu plus loin, un peu plus grand, on lui trouverait un éclat.

"Mais..."
Elle savait exactement ce qu'il allait demander.
"Tu l'as rencontré comment Eugène?"
- Tu sais, parfois je me demande qui a rencontré qui dans cette histoire.
Elle sourit un peu plus, comme à chaque fois qu'il était mentionné dans une conversation.
- Je suis ici pour lire, qu'il m'avait dit, agacé. Et quand j'ai tenté de lui parler une seconde fois il m'a gentiment expliqué "ne rien à foutre de mon avis". Un homme charmant.
"Ah oui, je comprends mieux ! Il sait parler aux femmes !
- Aux gens tout court, mais ça tu as déjà eu l'occasion de le constater.
Julien ne répondit rien. Il y avait toujours eu un décalage conséquent entre son amour propre et les manières cavalières d'Eugène. Et ça ne changerait jamais.

Elle se mit soudain à rire.
- Tu imagines si j'écris ma biographie pour de vrai? Je vois d'ici la phrase: "Et un jour, j'ai eu à choisir entre mon diplôme en Philosophie et un vieux grincheux malpoli"
"Au moins, ça rime." Et puis tu ne l'avais pas vu venir, je parie?"
- J'aurais pu, s'il m'avait laissé le connaître un peu plus tôt, je l'aurais certainement anticipé.
"Alors ça."
-Oui je sais, c'est un peu fort Knox. La seule chose qu'il partage avec plaisir, c'est sa musique abominable.
Julien hocha la tête. C'était très bien qu'elle ait toujours refusé de le laisser prendre les décisions pour l'agencement et les évènements de la boutique.
- "Je ne sais jamais où aller, mais je sais avec qui y aller", je crois que c'est la phrase qu'il m'a dit, et que je n'oublierai jamais.
"C'est un peu comme ça que tu vis depuis que tu es revenue d'Ecosse, non?
- J'essaie.
Elle sourit encore plus fort.

Une heure et demie avaient passé, et ne reviendraient plus sur le cadran de l'horloge. Du moins pas avant le lendemain. Ils avaient parcouru quelques souvenirs plus ou moins agréables. Ri ensemble, elle avait passé une bonne demi-heure à raconter autant la beauté des paysages des Highlands, que des éclats de génie d'Eugène. Julien prenait des notes, le regard brillant. Il ne regrettait jamais de sacrifier quelques heures pour discuter avec Alice, elle avait toujours quelque chose d'intéressant ou de drôle à dire. Et lorsqu'elle racontait quelque chose, elle s'animait. Son regard brillait, et pendant l'espace d'un instant, quand ses yeux glissaient vers les siens, le monde disparaissait. Comme s'il n'y avait que lui dans le monde, que lui qui comptait pour elle. Comme s'il était le centre de son univers. Et voilà quelques années qu'il retenait cet élan, de plus en plus vif. Cette folle envie d'arrêter une histoire d'un baiser. Mais il ne voulait pas l'interrompre. Cet élan était si rare, si lumineux. C'était une cure de soleil en plein mois de décembre. Et pourtant, aujourd'hui, à l'approche de son anniversaire, il s'était dit que peut-être..?

"Alice il faut que je te d.."
- Oui?
Elle s'interrompit. Un peu interdite, son sourire figé par des lois bien étranges de la physique et de la gravité. Il ne l'interrompait pas souvent. C'était certainement important. Elle le fixa pendant des secondes qui semblèrent aux deux protagonistes s'étendre en quelques années.
"Je.."
Une cloche tinta. Elle tourna la tête et sembla étinceler plus encore. Julien avala péniblement les mots qui pressaient son cœur autant que ses lèvres. Il savait très bien quel serait son premier mot.
- Eugène !!! Tu rentres plus tôt que prévu? Alors alors alors, qu'as tu à me raconter de farfelu cette fois-ci? Qui a usé ta patience jusqu'à la lie?  

Elle ne lui avait même pas dit au-revoir. Ni merci. Dès qu'Eugène entrait dans pièce, le monde disparaissait. Julien quitta donc cet espace dans lequel il n'était plus le bienvenu en jetant à Alice un regard qui ne tromperait personne d'un peu avisé. Si ses yeux ne brillaient pas tant en parlant d'Eugène, si elle avait autre chose que ses frasques à la bouche, et l'impatience qu'il lui vienne une nouvelle lubie de voyage. Peut-être qu'il...Peut-être que..?

Tant pis.