Attributs physiques

La tête dans une serviette, Max essore la tignasse floue dont elle vient de décolorer le châtain pour se parer de rose bonbon. La nuance s’accorde bien avec le gris de ses yeux et son teint pâle légèrement doré. Elle nettoie soigneusement les restes de couleur pris dans les piercings de ses oreilles.
D’un pas léger, presque virevoltant, la voilà qui traverse l’appartement, peu soucieuse du vis à vis, pour aller se perdre dans les choix que lui offrent son armoire. Il faudrait qu’elle trie, qu’elle fasse un peu de vide dans cette penderie qui déborde de vêtements qu’elle ne porte qu’à l’occasion, leur préférant toujours les mêmes pièces lorsqu’elle n’est pas en tenue de travail.
Aujourd’hui, comme souvent, elle passe un pantalon large lui tombant sur les hanches et un crop top laissant apparaître son ventre musclé. Il fait chaud, elle aurait bien mis une jupe, mais ce jour-là elle ne souhaite pas découvrir ses jambes couvertes de bleus et d’écorchures, ni son bronzage short et strap au niveau des genoux. C’est pas faute de lui rappeler de mettre ses protections lorsqu’elle roule, mais en dehors du skatepark elle a tendance à les oublier. Et elle en passe du temps sur ses roulettes, que ce soit celles de ses patins ou celles de son skate, c’est à la fois son sport, son hobbie, et son moyen de déplacement privilégié.
Ses près de dix heures d'entraînement par semaine ont développé une silhouette athlétique et une addiction non négligeable. Elle raffole de ses séances quasi quotidienne et, lorsqu’elle en rate une, sait que son sommeil et son humeur en seront affectés.

Ne travaillant pas ce jour-là, elle peut se permettre d’entasser bracelets et bagues sur ses mains couvertes de cicatrices diverses et variées. Sur ce doigt-là, la trace d’un léger raté lors de la levée d’un filet de truite, sur le dos de cette main, une brûlure rappelant le motif du bord du four… Elle en a des tas, chacune ayant une histoire culinaire différente.

Elle ferme le bracelet de sa montre tout en scrutant son reflet dans le miroir. Elle recentre le fer à cheval de son septum, coiffe rapidement ses sourcils et s’adresse un sourire radieux découvrant ses dents trop grandes avant de s’estimer satisfaite. Elle enfile une casquette sur sa crinière encore humide, et la voilà prête à partir.

Personnalité

Sa bouche trop grande sourit aux passants. Elle rayonne et parviendrait presque à faire s'égayer le métro si ce n’était pas le dernier lieu où les parisiens voudraient se trouver à 8 heures du matin. Mais elle, elle s’y plaît dans la rame. Il faut dire que peu nombreux sont les lieux ou les situations dans lesquels elle n’arrive pas à trouver un petit quelque chose pour s’amuser. C’est une grande gamine Max, elle cherche le ludique et le récréatif où qu’elle soit. Sans doute parce que sans ça, elle s’ennuie vite. Trop vite. Sans ces histoires qu’elle s’invente, sans les devinettes qu’elle se pose à elle-même sur la destination de cet homme en costume ou la supposée double vie de cette femme au chignon, sans les formes qu’elle déchiffre dans les taches des fenêtres, sans ces tags auxquels elle semble être la seule à faire attention, elle serait incapable de rester dans le wagon plus de deux arrêts.
Alors elle laisse vagabonder son esprit, elle laisse ses idées sauter du coq à l’âne pendant que ses doigts battent frénétiquement un rythme rapide sur la barre du métro. Lorsqu’un regard agacé se pose sur ses doigts mouvants, sur ses bagues qui claquent contre le métal, elle esquisse une grimace contrite avant de plonger les mains dans ses poches dans lesquels ses doigts turbulents trouvent un chapelet de perles colorées nouées à la coque de son téléphone avec lequel jouer.

Elle a constamment ce surplus d’énergie, ce besoin de bouger, cette nécessité d’occuper ses mains, et ce faisceau d’idées et de pensées beaucoup trop large qui lui fait trop souvent perdre le fil des conversations et exprimer à voix haute un peu trop souvent de ce qui lui passe par la tête. Les seuls moments où elle semble être épargnée, c’est quand une activité l’absorbe tellement qu’elle peut en oublier de manger. Quand elle roule par exemple. Ou qu’elle cuisine. Deux activités qui lui demandent de la concentration et sollicitent son corps. Le parfait équilibre.


Toute absorbée à ses pensées, elle s'extirpe de la rame in extremis avant que les portes ne se referment, bousculant au passage un jeune homme dont le contenu du sac se déverse sur le quai. Max est déjà accroupie, affairée à ramasser carnets, écouteurs, et autres effets ne lui appartenant pas, tout en se répandant en excuses. Très vite, les pardons se muent en babillage, et avant qu’elle n'ait terminé de réparer sa bêtise, l’inconnu connaît déjà le prénom des chiens de la coloc, la date anniversaire de son grand-père, ce qu’elle a mangé au petit déjeuner et sa couleur préférée.
Il ne reste plus rien sur le sol du métro, ils ne se quittent pas fâchés - peu nombreux sont celleux qui se fâchent avec Max - et elle repart comme elle est apparue, trop rapide, souriante et légère.
Elle tourne au coin d’un couloir souterrain, et avec un stylo qu’elle n’avait pas sur elle deux minutes plus tôt, noue ses cheveux en un chignon abstrait. Il faudrait qu’elle perde cette vilaine habitude de ramasser ce qui ne lui appartient pas.

-Le bled-
Maxine est née et a grandi dans un petit bled de vendée, le genre de bled qu’on ne voit apparaître sur une carte qu’après avoir suffisamment zoomé pour distinguer les toits des maisons. Le genre de bled dans lequel même une mère célibataire avec un salaire de bibliotécaire peut prétendre à une baraque avec un grand jardin pour s’y occuper de ses deux mômes. Le genre de bled dans lesquels ça ne choque pas de laisser les jumeaux à la vieille voisine qui fait office de nounou bénévole. Qui fait surtout office de troisième grand-mère.
C’est ce genre de bled et cette vieille femme qui ont vu grandir les deux terreurs. C’est surtout elle qui - en l’absence de leur mère occupée à multiplier les heures pour un petit supplément de salaire, en l’absence d’un père qui attendra leur adolescence pour recontacter ses enfants, en l’absence de grands-parents biologiques établis à l’autre bout de la France - profitera des échanges des mômes dans ce langage secret qu’ils n'abandonneront jamais vraiment pour communiquer entre eux, qui leur retira de la bouche les boules du sapin de noël à l’air pourtant si appétissant, qui leur apprendra à jouer aux petits chevaux puis aux dames, qui les installera à la table de la cuisine pour faire leurs devoirs, qui les fera grimper derrière le volant de sa vieille deux chevaux, qui leur montrera comment tenir une canne à pêche pour finalement les voir revenir couverts de boue avec des grenouilles dans les poches. C’est elle qui s'arrachera les cheveux à tenter vainement d’apprendre à Maxine ses tables de multiplication et qui s’amusera de la voir lécher le fouet lorsqu’elles préparent des gâteaux.

Les jumeaux grandissent là bas, en roues libres, avec comme seule vraies figures d’autorité une mère peu présente, des profs auxquels ils tiennent tête, et une vieille femme se refusant à leur faire la morale parce que ce n’est pas son rôle.
Contrairement à son frère qui comprend très vite que pour avoir la paix il lui suffit de faire ce que l’on attend de lui, Max passe à travers sa scolarité on ne sait trop comment, échappant tout juste au redoublement année après année. Jusqu’à ce qu’on lui propose d’intégrer une filière pro, qui, contre toutes attentes, ne lui semble pas être une mauvaise idée.
Elle qui n’a jamais su rester vissée sur sa chaise à écouter un cours, on lui propose enfin de pouvoir occuper ses mains à autre chose qu’à gratter du papier, pour apprendre quelque chose de bien plus attrayant à ses yeux que l’histoire des rois de France, AKA, la bouffe !


-L’homme de sa vie-
Maxine se révèle pour la première fois, si ce n’est studieuse, au moins appliquée, concentrée, intéressée et plutôt douée.
Son bac pro en poche, elle quitte la région, une idée bien ancrée en tête, aller apprendre de nouvelles techniques et de nouvelles cuisines à travers le monde. Et c’est en Italie qu’elle débarque à tout juste 18 ans. C’est en Italie qu’elle va effectivement perfectionner sa cuisine, mais surtout rencontrer Giuseppe, chef de partie de 5 ans son aîné.
A peine un mois plus tard, ils emménagent ensemble.
Il est l’homme de sa vie. Il lui permet de se recentrer, il l’aide à s’organiser - voir même, il organise et elle se laisse porter - il est ordonné, il est sociable, il lui rappelle de répondre à ses messages, lui rappelle ses rendez-vous, lui rappelle parfois de manger et souvent d’aller se coucher. Il est l’ancre dont elle a besoin. Il est ce qui la rattache à la réalité et lui permet de ne pas toujours planer au-dessus du monde.
Il est l’homme de sa vie, ils ont de grands projets. Quelques temps ici en Italie, puis continuer le voyage. L’Espagne, l’Angleterre, l’Inde, le Japon. Leur rêve de tour du monde se construit sur plusieurs années, et petit à petit ils vont le concrétiser.
Il est l’homme de sa vie, et après plusieurs années de voyage et de travail à l’étranger, il accepte de poser ses valises en France, au moins pendant un temps. Un temps qu’elle va mettre à profit pour passer un CAP pâtisserie, revenir à ses premières amours, celles qui sont nées quand elle léchait le fouet dans la cuisine de sa vieille voisine, dans son petit bled de vendée.

Il est l’homme de sa vie, et pourtant elle sent son coeur s’emballer pour le serveur du resto dans lequel elle bosse. Elle refoule ses sentiments, s’en veut terriblement de ce qu’elle ressent pour d’autres que lui, s’en veut terriblement pour ces quelques baisers qu’elle peut échanger au cours d’une soirée. Elle essaie de se déculpabiliser en se rappelant que bon, lui, il l’a déjà trompée. Mais quand elle a le malheur de vouloir lui parler de ces bribes d’affection qui l’assaillent, il perd son sang froid et ils finissent par claquer les portes en hurlant. Alors elle n’en parle plus, essayant de ne pas laisser son cœur s’emballer pour le sourire de la boulangère.

Ils se disputent en parlant baptême. Même si elle ne veut pas d’enfant. De toute façon, avant les enfants, il y a le mariage. Mais elle ne veut pas de mariage non plus, cette simple idée la terrifie. Mais il l’aime trop pour ne pas officialiser cet engagement, après tout, ça fait plus de 5 ans qu’ils sont ensemble. Alors parce qu’il est l’homme de sa vie, ils se pacsent. Elle fait sa première crise d’angoisse en sortant de la mairie.
Il est l’homme de sa vie et on lui propose une belle opportunité dans un restaurant prestigieux, en Italie. Elle préférerait ne pas bouger, elle aime la pâtisserie dans laquelle elle travaille. Mais ce n’est pas le genre d'opportunités qui se refuse. Alors elle plaque tout pour le suivre. Elle plaque son job et ses potes pour se rapprocher de sa famille à lui, laissant son frère et sa mère à des milliers de kilomètres.

Il est l’homme de sa vie, alors pourquoi ne fait-il rien quand il la retrouve en pleure à deux heures du matin ?
Il est l’homme de sa vie et il peine à la voir partir pour quelques mois, seule, chez sa mère. Mais si ça peut lui faire du bien, après tout, pourquoi pas. C’est parce que sa famille lui manque qu’elle est triste. Pas parce qu’elle s’est enterrée dans un ville dans laquelle elle n’arrive à se faire aucune attache, dans un boulot qui ne la satisfait pas, avec un patron qu’elle déteste.
Alors quand elle revient, il a trouvé la solution. Ils n’ont qu’à fonder leur famille ici. Ça comblera tout ce qui lui manque, à Max. Sauf qu’elle ne veut toujours pas d’enfant.
Du coup ils achètent un appartement.
Ils vont réussir à le gravir cet escalator du couple, même si elle leur fait faire des écarts.

Il est l’homme de sa vie et il trouve qu’elle passe trop de temps au skatepark. Faut dire qu’elle y file directement après le travail, qu’elle va ensuite boire des verres avec les autres habitués du lieu, qu’elle ne rentre qu’une fois la lune haute alors qu’il est déjà couché.
Il est l’homme de sa vie et vraiment il pense qu’elle ne devrait pas faire ce piercing, ni décolorer ses cheveux.
Il est l’homme de sa vie et il n’aime pas vraiment ses quelques ami·e·s qui ne font pas partie de son cercle.
Il est l’homme de sa vie mais il n’aime pas : sa façon de faire le ménage, comme elle peut passer des heures au téléphone avec son frère sans qu’il ne comprenne ce qu’ils se racontent, ses goûts musicaux, ses choix vestimentaires, qu’elle ne souhaite plus passer son dimanche à table avec sa mère, le temps qu’elle met à remplir sa paperasse, qu’elle réponde aux blagues sexistes de son oncle, qu’elle pose pendant qu’on la dessine, ses modifications corporelles, qu’elle refuse qu’il l’accompagne aux obsèques de cette vieille femme dont elle lui parlait souvent au début de leur relation… Il ira quand même à ces funérailles. Parce qu’il l’aime, elle, la vraie Maxine, celle qu’il a rencontrée quand elle avait 18 ans. Et ce n’est pas parce qu’elle se perd un peu en route qu’il va la laisser tomber.

-Réveil-
Ça fait deux mois qu’elle pleure toutes les nuits. Ça fait deux mois que Giuseppe lui dit de retourner se coucher parce que “c’est pas le moment”.
Sa psy lui glissera quelques mois plus tard qu’elle était déjà en train de faire le deuil de la relation.
Ils ont été plusieurs à trouver que sa décision était soudaine et qu’elle s’en est relevée très vite. Alors que Giuseppe, le pauvre, lui était au fond du trou quand elle est partie. Elle avait bien calculé son coup, qu’ils disaient.
Ils se savent pas qu’elle est passée par une demi année d’état dépressif et un avortement. C’est plus simple de trouver un coupable que de chercher les nuances de cette situation dont personne n’a tous les tenants et aboutissants.

Elle quitte Giuseppe, elle quitte ce travail avec ce patron exécrable, elle quitte l’Italie. Sa valise sous le bras, elle laisse la moitié de ses affaires à celui qui fut l’homme de sa vie et retourne en France, vivre pendant trois mois sur le canapé du deux pièces de son frère.
Elle prend le premier boulot qu’elle trouve dans une boulangerie, trouve ses spots préférés pour rouler dans Paris et s'abrutit de séries qu’elle regarde sans les voir, enroulée dans un plaid alors que son jumeau lui frotte le dos.
C’était la décision la plus difficile de toute sa vie - et pas seulement pour les mois de rendez-vous chez le notaire pour l’appartement, pour les difficultés financières et les relations communes qu’elle a perdues dans l’histoire - et pourtant la meilleure.
Petit à petit, elle se sent revivre. Elle se sent libre. Elle a un mal fou à gérer son quotidien sans le formalisme de Giuseppe pour la canaliser, mais dans ce chaos qu’est devenue sa vie, elle retrouve cette joie sauvage qui l’a toujours caractérisée, mais qu’elle étouffait depuis quelques années.

Quelques mois après son arrivée dans la capitale, elle quitte le nid douillet que son frère avait construit pour elle pour s’installer avec Douglas et Lilo. Doug fait du skate aussi. Et il est rapidement devenu une des personnes avec lesquelles elle aime boire des coups jusqu’à ce que la lune soit haute. Et Lilo, Lilo c’est une de ses relations. Le courant est tout de suite passé. Très vite, iels se sont retrouvés à passer le plus clair de leur temps ensemble. Iels se voyaient le soir, se retrouvaient le lendemain midi, passaient l’après-midi ensemble à jouer aux jeux vidéos, puis la soirée avachis dans le canapé à papoter sans regarder le film.
Très vite, iels ont émis l’idée de s’installer ensemble, toustes les trois. Avec les chiens de Lilo, bien sûr. Toustes les cinq, du coup.

Il faut croire qu’à ce moment les étoiles étaient alignées, parce qu’un poste de pâtissier s’est libéré au Chat Noir deux semaines après leur enménagement.
Et il faut croire que ses expériences internationales ont su convaincre.
Ça fait maintenant près d’un an que Max vit de sucre, d’amours, de balades canines et de roulettes. Se réveillant chaque matin comme sur un petit nuage, et s'endormant chaque soir beaucoup trop tard, la tête remplie de fragments des shows du Chat Noir. Pourvu que la lune de miel dure.